L'aube filtrait à travers les iris pendouillant mollement à l'entrée de mon antre. Une aube claire quoique nuageuse. Mais pourtant déjà chaude. Cette chaleur devenait insupportable aux anciens, malgré les boules de mousse imbibées d'eau que les apprentis leur amenaient. J'espère que la pluie ne va plus tarder, pensai-je, sinon certains ne tiendront pas le coup. Mes pensées me menèrent sous le rideau de fleurs. Je sortis et fus éblouie par de maigres rayons solaires filtrant à travers la couche nuageuse.

Le tas de gibier était maigrement rempli. Trois campagnols, une poule d'eau et quelques poissons d'un gris argent. Mon clan devait s'être déjà servi. Je choisi la poule et m'assis près de la Pouponnière où l'odeur du lait encore chaud me chatouilla les narines. Je repensai à mon enfance. Ces moments de tendresse avec ma mère. Oui, uniquement ma mère, vu que mon père s'en est allé lâchement quelques jours avant ma naissance. Une bouffée de rage me traversa l'esprit. Je serrai les mâchoires. Fermai les yeux. Il fallait que je me calme. Prenant mon courage à deux pattes, je redéposai mon gibier avec les autres proies. Tant pis si il était mordu. Je suppose que les Lunaires n'auront rien contre le fait que leur chef aie du partir en trombe pour se contrôler ...

Je partis à toutes pattes vers le lac. Quelques dizaines de bons en fait. Je lapai l'eau fraîche, consciente que les clans du Levant et du Crépuscule n'avaient peut-être pas cette chance en ces temps chauds. Le liquide descendit le long de ma gorge. Maintenant rassasiée, je courus vers les arbres qui bordaient le chemin de terre, qu'empruntaient souvent les bipèdes. L'odeur y était intenable mais je m'enfonçai un peu plus dans les sous-bois et pus y continuer ma route, sans que cette fragrance pestilentielle ne m'emplisse les narines. D'un seul mouvement, je traversai la rivière; fonçant dans l'eau tel un poisson. J'en ressorti les poils plaqués au corps, m'ébrouai puis repartis.

J'arrivai à mon endroit de prédilection. L'endroit idéal pour me calmer les nerf et me détendre. Je n'aspirais qu'à cela. Les Rochers de Glace. Même si ils étaient proches du chemin du Tonnerre, ces rochers d'une fraîcheur incomparable en étaient assez éloignés pour que l'odeur étrange mais dégoutante du long ruban gris et chaud ne me chatouille pas le nez. D'autres odeurs et bruits arrivèrent cependant à mes narines. L'odeur du bois sec du Ponton, le clapotis léger de l'eau en l'absence de vent, l'odeur des quelques arbres et ... L'odeur d'un chat. Je me tapis à l'ombre des fourrés afin d'en identifier l'odeur. Sans me détendre pour autant, je reconnus le clan du Levant. Une silhouette mince se découpa sur la clarté du ciel. Etoile Rêveuse. Je m'avançai d'un pas décidé. De toute façon, il était trop tard pour reculer, elle avait déjà flairé mon odeur, j'en étais certaine.


- Bonjour Etoile Rêveuse, murmurai-je de ma voix angélique tout en m'asseyant sur la pierre froide, l'aube est claire ce matin malgré les quelques nuages, tu ne trouves pas ?

Cet échange me permettrait certainement d'oublier ma mère. Pour un laps de temps incertain, malheureusement. Pourquoi m'avait-elle laissé tant de souvenirs ? Pourquoi ne s'était-elle pas enfuie comme mon père ? Ca n'aurait pas pu être pire ... Désormais je suis quand même seule. Avec une tonne de souvenirs qui me labourent le cœur à chaque pensée. Le clan des Etoiles pense peut-être que je le mérite.

Je restai debout, stoïque, attendant la réponse de mon interlocutrice. Oui, c'est vrai. J'espère au moins qu'ils nous apporterons quelques gouttes de pluie. De la pluie ? Pff. Quelle inconsciente. Le clan des Etoiles n'en prédisait pas avant quelques semaines. Je m'efforçai à ne rien laisser paraître sur mon visage mais un petit sourire l'emporta. Je ne répondis pas. Laissai mon esprit vagabonder.

Depuis que nos ancêtres étaient arrivés sur ces nouvelles terres, le clan de la Lune était étrangement lié à celui des Etoiles. Cela m'avait d'ailleurs toujours paru étrange. Pourquoi le nôtre ? Peut-être parce que Lune-Etoiles ? Etoiles-Lune ? Liées dans le ciel. Aucun idée. Cependant, cela était extrêmement intrigant. Mais aussi extrêmement pratique, si ce n'était que, pour perpétuer ce don, mon clan et moi-même devions nous rendre toutes les douze lune à la Source Perpétuelle. Nous étions donc proies faciles pour les envahisseurs lors de ces voyages.

Un souffle me sortit de mes songes. J'emplis mes poumons de ce vent frais. Il était étrangement humide. Je fermai les paupières et entrai en communication directe avec Songe d'un Soir, l'aïeule avec qui je préférai discuter. Si l'on put dire. Songe, pensai-je, la pluie est-elle proche ou nous condamnez-vous à la canicule ? Sa voix douce et réconfortante me répondis instinctivement. La pluie arrive. Mais pas dans un futur proche. La pluie arrive, me répéta-t-elle. Ses paroles rebondirent dans ma tête, telle une balle de basket sur un terrain. Puis sa voix, tout comme son image, laissèrent place aux ténèbres. La pluie arrive. Mais dans combien de temps ? L'inconvénient des paroles venues des Etoiles est sans aucun doute leur imprécision. Jamais de chiffres, de données, de dates.

Je me rappelai la présence de la meneuse du Levant lorsqu'elle continua son discours. Oui, mon Clan manque d'eau, et la rivière s'épuise lentement. Mais le Clan des Etoiles veille toujours sur nous, non ? J'ouvris les yeux en un instant. Comme si j'étais un messager chargé de transmettre les moindres pensée de nos ancêtres ... Je levai ma patte avant et entrepris de la lécher soigneusement, tout en méditant la question de la chatte pâle. Que devais-je répondre ? Avais-je seulement le droit de lui dire ce que je venais d'entendre ? Devant son regard interloqué je me décidai à parler. Tout en choisissant soigneusement mes mots.


- Si nous n'avions pas le lac. Nous serions dans la même situation que votre clan. Et cela m'attriste, je sais que cela ne doit pas être évident.

Bravo Déchue, plus cucul-la-praline que ça, tu meurs. Marquant une courte pause, je continuai.


- Les Guerriers d'autrefois ... Veillent bien évidement toujours sur nous. La pluie devrait arriver. Mais je ne sais précisément dans combien de temps.

Re-bravo, raconte-lui tout, tant que tu y es. Mais qu'est-ce que je peux être bête. Cette femelle n'est pas de mon clan. Elle en sait déjà trop. Je me figeai. De glace, tels les rochers sur lesquels nous étions assises; je me dis qu'Etoile Rêveuse méritait peut-être de savoir. Peut-être pas toute l'histoire, certes, qui se devait de rester partiellement secrète. Mais jusque là, je n'avais fait aucun mal. Je crois. Je guettai sa réaction. M'arrêtant sur ses traits fins et angéliques. Oui, elle comme moi étions belles. Et, même si nos caractères n'étaient pas similaires. Pas du tout. Je pense que je pourrais m'en faire une amie. Si le temps jouait en notre faveur. Peut-être.

Merci. Mais notre Clan n'est pas plus faible pour autant. Nous sommes capables de nous défendre. Alors elle croyait que j'escomptais l'attaquer ? Je souris. Elle voulait clarifier les choses visiblement. Quel clan ne se défendrait pas, après tout ? Même le plus faible des chats ne resterait pas sans rien faire lors d'une attaque. Je poussai un soupir. Cette chatte ne deviendrait certainement pas une amie. Peut-être une connaissance. Et encore. Je resterai cloîtrée dans ma solitude encore un bon moment. Ce n'était peut-être pas plus mal, finalement ...

Un bruit venant des fourrés attira mon attention. Pas une proie, non. Enfin, peut-être que si; la proie de mon attaque si l'inconnu venait emmerder son monde. Etoile Rêveuse passa sa patte autour de son oreille. Il me paraissait impossible qu'elle n'aie pas entendu ce vacarme. C'était pourtant ce qu'il s'était produit. J'ouvris la bouche afin de lui informer qu'un félin arrivait lorsqu'elle me devança d'une demi seconde. Viens, Nuage d'Eclair, lâcha-t-elle dans un demi sourire. Je me figeai. Une embuscade ? Impossible. Pas avec un apprenti. Je déglutis alors que l'intéressé avançait prudemment, visiblement mal à l'aise. Je le fixai. D'un regard que j'espérais le plus sombre possible. Qui était-il pour venir s'interposer comme ça ? Coucou maman. Maman ? Je m'étranglai. Ainsi La meneuse du Levant avait un fils. Apprenti, de surcroît. Je ne manquerai pas d'en informer mon camp. Pourquoi n'en avait-elle pas parlé aux Assemblées ? M'enfin. Ce n'était pas une raison pour le laisser faire n'importe quoi. Comme le laisser espionner une conversation entre deux chefs. Et même l'inviter à y prendre part. Je le fixai. Puis fis un certain nombre d'allers-retours entre sa mère et lui. Aucune ressemblance. Je ne laissai rien paraître sur mon visage, contrairement au petit, timide.


- Est-il obligé de ... rester ? demandai-je. Je doute que sa place soit ici, si loin de votre clan. De plus, notre conversation ne le concerne nullement.

Je restai figée dans la même position, déglutissant et respirant à intervalles irréguliers.

• La lumière du soleil qui touchait Pétale de Fraise la réveilla. Elle regarda ses amis. Tout le monde dormait encore. Mais ils se réveilleront bientôt et iront s'entrainer avec leur apprentis, ou partirons en patrouille ou encore, ils iront chasser. La lieutenate se leva pour aller demander à sa chef ce qu'il faudra faire. Elle était sure que sa chef était réveillée, elle n'avait pas un long sommeil, et elle se réveillait souvent avant tout le monde. Quand elle entra dans la tannière, elle ne trouva personne. L'odeur était pourtant encore là. Elle la suivit alors.La piste était très longue, et le soleil montait de plus en plus dans le ciel. Il fallait qu'elle se dépêche, il fallait qu'elle retourne au Camp pour aller donner quelques explication à certains. MAis il fallait tout d'abord qu'elle aille demander à sa chef quels ordres donner? Elle parvint enfin à trouver son supérieure. Elle était en compagnie de la Chef du Clan de la Lune, ainsi que Nuage d'Eclair, la fille d'Etoile Rêveuse. Les trois étaient en train de parler. Pétale de Fraise ne pouvait pas attendre. Elle s'aventura près des trois chats et commença.
  
  
  

  "Bonjour Etoile Rêveuse. Bonjour Nuage d'Eclair. son regard passa sur la chef du Clan de la Lune. Bonjour Etoile Déchue. lacha-t-elle sèchement. Excusez-moi de déranger votre discussion, mais Etoile Rêveuse, je suis venue ici pour te demander quels ordres je dois donner aujourd'hui au Clan. "

  
  
  Son regard repassa ensuite sur Etoile Déchue. Elle n'aimait pas beaucoup le Clan de la Lune. Ceux-ci se comportait de manière...comment dire...ils étaient fière de pouvoir parler au Clan des Etoiles mieux que eux. Non, il ne fallait pas qu'elle s'énèrve, car sinon elle briserait la paix sur les territoires libres. Ses yeux verts passa ensuite sur l'apprenti du Clan du Levant. Elle avait eu envie de suivre sa mère. Mais, cette pensée qu'elle avait une mère encore en vie, lui piqua es yeux. Elle chassa cette pensée de sa tête.

Je restai assise. Le regard fixé sur l'horizon immobile et silencieux. Combien de temps allait durer leur petit manège ? Assez longtemps pour que j'en meure d'ennui, en tous les cas. Une légère brise souffla, enchevêtrant mon long pelage. Je léchai ce dernier sans grande attention afin de lisser ces quelques poils disgracieux. Le petit félin sombre s'en alla en compagnie de la lieutenante. Le soleil dansa quelques instants sur son pelage roux, avant de s'éteindre lorsqu'elle franchit les buissons. Je levai les yeux au ciel lorsque Nuage d'Orage - à moins qu'il ne s'appelât Nuage d'Eclair ? Quelle importance ! - se retourna une dernière fois, son regard faisant l'aller-retour entre sa mère et moi, avant de disparaître. Je souris froidement à la meneuse. Contrairement à elle, je ne m'amusais guère. J'enfonçai mes griffes dans le sol afin d'être sûre qu'elle le comprenne. Je reculai de quelques pas. Lentement. Mes coussinets se déposant délicatement sur le sol froid et humide. J'envisageai d'attaquer. Gauche, droite ? Mh. Non. Trop banal. Un bond, un tout petit bond, serait par ailleurs suffisant pour atteindre l'ennemi. J'étouffai mon énervement par un mouvement bref de la queue. Calme-toi, Déchue. Je me devais de retrouver un semblant de conversation. Un rire attira mon attention. Songe d'un Soir, sans aucun doute. Je ne souhaitais pas parler avec une guerrière-étoile. Pas maintenant. Elle m'avait d'ailleurs bien trop importunée en cette journée ensoleillée. Me rendant compte que mes paupières étaient closes, je les ouvris. Poussivement. La chatte était toujours là. Elle aurait pourtant eu tout le temps de s'en aller. Mais apparemment, elle souhaitait rester là. Grand bien lui fasse. Je resterai aussi, de toute façon. Bon. Conversation. Réflexion. Conversation. Que dire ? Que faire ? Je décidai de jouer la carte de l'innocence.

- Mh, où en étions-nous, déjà ? Ces nombreuses interruptions ont perturbé le cours de notre conversation, miaulai-je, une pointe de sarcasme dans la voix.

Je me couchai sur le flanc et posai mon museau sur le sol. J'inhalai profondément puis expirai doucement. La chaleur de mon souffle permit la création de condensation sur la pierre, que je m'enquis de lécher sous le regard ébahi d'Etoile Rêveuse. Les quelques gouttes entrèrent en contact avec ma langue, mon œsophage, mon estomac et ensuite j'en perdis la trace. Ma température corporelle ayant certainement reprit le dessus. Je recommençai l'opération plusieurs fois. Jusqu'à être rafraîchie. Puis redressai la tête, mes yeux saphir transperçant le regard de mon interlocutrice.

Sur le chemin du retour, Pétale de Fraise se trouvait en compagnie de Nuage d'Eclair. L'apprenti n'avait pas l'air dans son assiette. C'était surement dût au fait qu'il ne voyait pas beaucoup sa mère. Pétale de Fraise regarda l'apprenti avec compassion. Puis, une idées lui vint à l'esprit. Etant assez jeune, et ayant connu beaucoup de jeux durant son apprentissage, elle proposa alors quelque chose à l'apprenti:
-Connais-tu le jeu du 'je pense à..'?
Ce jeu n'était pas le plus connu, mais c'était un bon moyen de pouvoir mettre un peu de joie pendant un voyage. Certes, la route n'était pas longue, mais elle le paraîtrait si aucun des deux ne parlaient. Avant d'attendre la réponse de Nuage d'Eclair, elle dit d'un miaulement doux et apaisant.
-Ta mère t'aimes beaucoup, mais tu sais comme moi qu'elle a des occupations, de grandes responsabilités. Peut-être qu'un jour ça t'arrivera à toi aussi d'avoir de grandes responsabilités.
Elle se frotta contre le chaton en ronronnant, et lui continua:
-Tu es un bon apprentit. Tu passeras surement très vite au niveau de guerrier.

La meneuse émit un grondement rauque. Etrange. C'était plutôt mon rôle, ça. Nous en étions, si tu ne t'en souviens plus, à parler de la sécheresse. Ses paroles s'étaient échappées de ses lèvres. Tel un sifflement. Je lui souris amicalement. Ce qui était tout aussi étrange. Cependant, j'avais retrouvé ma bonne humeur. Si l'on peut appeler cela ainsi. Disons plutôt que mon masque froid et sans humeur était tombé. Ou à moitié. Je m'assis; réfléchissant à chacun de mes gestes, et levai mon visage vers le ciel. Le ciel était pur et le soleil brillait. Quand soudain, j'aperçus une boule de coton, suivie d'une autre, et d'une troisième encore. Certaines étaient d'un blanc immaculé, d'autres d'un gris plus soutenu. Je ne sus retenir un hoquet. Attention, murmura Songe. Les nuages semblaient vouloir avaler l'astre solaire.

- Etoile Rêveuse, je pense que la sécheresse ne va plus traîner, affirmai-je après avoir dégluti.

Peut-être penserait-elle que c'étaient nos ancêtres qui m'en avaient averti. C'est pourquoi je désignai l'étendu - sensée être - bleue d'une oreille afin qu'elle puisse approuver mes dires. Le soleil se voilà complètement; nous plongeant toutes deux dans une obscurité qui était devenue peu familière, après toutes ces lunes ensoleillées. Mes yeux profonds scrutèrent de nouveau l'infini. Songe, pensai-je, que va-t-il advenir ? Pas de réponse. Songe ! Rien. Le néant. Aucune autre voix dans mon esprit. Celui-ci s'emplit de doutes et je me recroquevillai. C'était la première fois qu'une chose pareille se produisait. Les étoiles me punissaient-elles ? J'eus soudain l'envie de me confier à ... une amie. Le mot eut difficile de sortir, cependant.

- Les ... Nos ... ancêtres ne répondent pas, murmurai-je, quoique n'espérant pas de sa part un semblant de réconfort.

Le gris avait pris sa place dans le ciel; il ne partirait pas de si tôt. Bien sûr, j'aurais du m'en réjouir - et une partie de moi le faisait. Mais le fait que je ne puisse discuter librement avec les aïeuls me perturbait. Je souhaitais m'enfouir. Partir à la Source Perpétuelle afin de demander pardon pour je-ne-savais-quelle bêtise que j'aurais commise. Mais, que j'y pense, lorsque les clans de l'Ombre, Tonnerre, Rivière et Vent existaient encore, aucun d'eux ne pouvait entrer en contact avec l'au-delà, excepté les guérisseurs. Peut-être devrais-je m'y contraindre ? Je ne le savais.
Pour la première fois, mon esprit était complètement vide.

La chatte ne répondit pas. A mon instar, elle semblait inquiète. Elle resta figée un instant avant de s'enfuir dans une cavité rocheuse. Un grondement se fit entendre. Le tonnerre. Et ensuite, les gouttes tombèrent. La pluie se fit de plus en plus forte et martelait le sol. La sécheresse ne serait bientôt plus; les eaux du lac doubleront de volume. Pour l'instant, rien n'est à craindre. Sauf le silence des ancêtres ... Je restai immobile, l'humidité plaquant mon pelage sur ma peau. Le visage toujours dirigé vers les cieux, je me questionnai. Pourquoi ? Pourquoi nous avaient-ils abandonnés ? Ils n'ont pas le droit de nous ignorer. Surtout la veille d'une assemblée. Il fallait que j'en discute avec la meneuse du Levant ! Je me redressai. Mes membres étaient endoloris par le vent naissant.
Arrivée près d'Etoile Rêveuse, je m'ébrouai. Je me fichais complètement qu'elle put être mouillée. Pour ma part, j'étais complètement trempée. J'hésitai à la réconforter; elle paraissait tellement bouleversée ... Mais lui lécher l'oreille n'aurait pas été convenable, n'est-ce pas ? Pourquoi ressentais-je tant d'affection en ce moment ? Aucune idée. Peut-être recherchais-je la compagnie des guerriers - étoiles en cette ... amie ? Encore une fois, je déglutis en songeant à ce terme. Non, ce n'était pas une amie. Une connaissance était plus exact. Bref.

- Il faut que nous organisions l'Assemblée de demain. Rater cet évènement ne serait pas une bonne chose, crois-moi.

Je m'enquis de lécher les poils de mon échine. Ils étaient ébouriffés, tant à cause de la pluie que de l'énervement.

La chatte sursauta, tremblotante. Une Assemblée serait idéale. Mais si ces nuages cachent la lune ? Il faudrait la faire pareil, non ? Je crus ne pas comprendre. Les mots s'entrechoquaient dans ma tête. Tant pis pour la lune mais je me devais de tenir informée Etoile Nocturne de l'avertissement des Etoiles. D'autant qu'il semblait être le dernier.


- Oublions les nuages. A quoi bon y prêter attention si les Etoiles ne veillent pas sur nous ? J'espère uniquement que le meneur du Crépuscule nous accompagnera, murmurai-je.

Le dos courbé, je ressortis sous la pluie. Elle tombait à verse, comme si un bipède était muni d'un tuyau d'arrosage juste au dessus de nos têtes. J'observai l'horizon; nous étions encerclés par les nuages. Ils étaient tellement sombres ! Une rafale me secoua et je dus me baisser pour rester sur place. Je retournai aux côté de Rêveuse. Il y faisait chaud, trop chaud. Mais sec. J'aspirai une goulée d'air. Il était chargé d'humidité, comme si cela faisait des lustres qu'il pleuvait. Je frottai mon oreille de ma patte, pensive. Après tout, peut-être les nuages allaient-ils se dissiper d'ici quelques jours. Ils nous auraient, certes, fait une grosse frayeur. Mais rien de plus. Rien de comparable avec le fléau que j'étais en train d'imaginer. Advienne que pourra. Une larme - qui se confondait avec n'importe quelle goutte d'eau - coula le long de ma joue lorsque je songeai à ma mère. Elle aussi m'avait abandonné. Comment avait-elle pu me faire ça ? Si j'étais devenue chef en ce jour c'était pour qu'elle soit fière de moi et tout ce qu'elle m'offrait en retour était le silence ?! Ma queue fouetta l'air tandis que mes griffes s'enfonçaient dans le sol. Je dus me retenir de ne pas m'attaquer à la chatte beige. Mais elle n'en pouvait rien. Je me calmai, fermant les yeux et écoutant le silence. Les seuls bruits étaient nos respirations. Haletantes. Un craquement sonore brisa ce calme; je sortis la tête hors de notre abri : la foudre avait frappé non loin de là, sur la pierre où nous nous trouvions quelques instants auparavant. Il fallait que je rentre au camp sans plus tarder afin d 'expliquer la mauvaise nouvelle.

Etoile Rêveuse restait impassible, comme si aucun des évènement ne l'affectait. Evidemment, elle n'avait pas la responsabilité de l'extinction du clan des Etoiles ! Elle ne pouvait pas comprendre. Remarquant mon agressivité, elle murmura : Je te fais remarquer que nous sommes dans le même pétrin, alors cesse de me regarder comme si tu voulais me sauter dessus à chaque instant. Ce n'est en aucun cas ma faute, et cela n'arrangerait rien, alors essaie de te contrôler un peu plus.

- Tu ne peux pas me comprendre, Etoile Rêveuse, dis-je doucement. Tu ne connais en aucun cas ce que j'ai vécu et par où je suis passée, tout comme moi je ne sais rien de toi. Et c'est certainement bien mieux ainsi, ajoutai-je froidement. Mais je sais que ce qui nous arrive ne découle ni de toi, ni de moi. Alors, cesse de me tourmenter pour si peu; jamais je ne m'attaquerai à un chef adverse si celui-ci est dans la justesse et la vérité. Les meneurs se doivent un minimum de respect.

Je me dressai d'un seul mouvement, les dernières paroles de la meneuse s'accordant à mes gestes. Comment retourner sur mes terres sans risques ? Sans risques, c'était certainement impossible ... Mais, si je longeais la rivière, je serai semi-protégée par la voûte de la forêt du Crépuscule. C'était l'itinéraire le plus court. Sans un mot, et après un signe d'oreilles adressé à mon interlocutrice, je m'en allai à grandes enjambées, l'échine courbée sous la puissance de la pluie. La roche était glissante mais, grâce à mon habitude des terres et à la vitesse à laquelle mes coussinets entraient en contact avec le sol, je n'avais aucun risque de glisser. Je m'arrêtai un instant afin de contempler la brèche que la foudre avait créé dans les rochers. Elle était encore chaude. Je sursautai lorsqu'une lumière aveuglante se projeta vers moi; encore un éclair. Je parcourus le reste du chemin en courant, ne m'arrêtant qu'une fois arrivée sur les terres de la Lune. Lorsque je me retournai une dernière fois, j'entrevis Etoile Rêveuse s'en aller, elle aussi, vers son camp. Tout en continuant ma route, j'imaginai la chaleur d'une tanière, dans laquelle j'aurais pu courir me réfugier si je n'avais été qu'un simple apprenti. Mais ce n'était pas le cas. Je n'avais pas peur de ce déluge. Je devais assurer mon rôle de chef et protéger les miens.