Le soleil était à son zénith quand je rentrai au camp. La chaleur était accablante, vraiment trop chaude. Je venais de faire le tour du territoire, seule. A vrai dire, je n'avais besoin de personne quand je vérifiais les frontières. Personne ne tendrait d'embuscade à un chef pas vrai ? Enfin, pas tant que la paix régnait entre les trois clans. Je n'avais rien croisé de particulier. Seulement la trace d'un chat domestique. Je me demande d'ailleurs ce qu'ils trouvent de folichon à venir sur nos terres de la sorte. Il n'y en avait qu'un seul de toute façon. Et toujours le même. Aucune menace là-dedans. J'avais aussi perçu une vieille effluve de renard. Datant d'avant-hier, à mon avis. Il faudra juste prévenir les mentors de ne pas s'aventurer trop près du monticule lorsqu'ils sont en compagnie de leurs apprentis. Je n'aimerais pas que l'un deux se fasse blesser par ces maudites bestioles.
Un vent rempli d'électricité se leva. Je frissonnai. Pas qu'il était spécialement froid, non. Même pas frais. Juste qu'il me semblait qu'un orage approchait. Je scrutai le ciel, à la recherche de quelque indice qui pourrait abonder dans le sens de mon hypothèse. Rien. Le ciel était d'une pureté sans pareil. D'un bleu merveilleux, presque foncé. Il égalait presque la couleur de mes iris. Le tout éclairé par un soleil éclatant. Je fermai les yeux et demandai conseil aux Etoiles. « La pluie approche » me répéta Songe d'un Soir. Ca, elle me l'avait déjà dit quelques jours auparavant. « Pitié, Songe, sois précise, pour une fois » pestai-je. « Rien ne sert de s'énerver, jeune chatte, s'enquit-elle de sa voix douce et rieuse, lorsque les feuilles tombées sur le sol seront sèches jusqu'à la dernière, l'eau abondera » J'ouvris les yeux. L'eau abondera. J'espérai seulement qu'il n'y aura pas d'inondation, les chatons et les anciens n'y survivraient pas.
Je montai sur le Promontoire afin d'annoncer les dernières nouvelles. Renard, chat domestique. Rien de particulier donc. Puis je partis en direction du lac, espérant ne pas devoir, encore une fois, m'enfermer dans ma bulle de solitude. D'habitude je préférais chasser - enfin, pêcher - seule. Mais là, je souhaitais parler. Etonnant.
L'eau clapotait. A croire qu'un chat venait de s'y baigner. Je ne remarquai aucune odeur connue. Ni inconnue, d'ailleurs. Uniquement l'odeur de mon clan, situé quelques longueurs de queue plus loin; mais de telle façon qu'il était invisible à ma vue perçante. Je plongeai mes pattes dans le liquide incolore. Même si l'eau était chaude, du moins sur les bords, c'était tout de même rafraichissant. J'observai mon reflet et, tel un chaton se regardant dans une flaque, je tapai ma patte violemment à la surface, faisant s'effacer ma copie dessinée sur la surface de l'eau. Avec plus de force qu'un félin de quelques lune, cependant. J'inspirai une grande goulée d'air et enfuis tout mon corps dans l'eau. C'était agréable. Là, je me sentais bien. Ou mieux, du moins. Je m'efforçai de ne penser à rien; de faire le vide. Mais comme dans tous les moments où des sentiments agréables s'emparaient de mon esprit, l'image d'une chatte, élancée, fine, mais au visage empli de rondeurs, entra dans mon subconscient et sembla ne plus vouloir en ressortir. Je sortis la tête de l'eau, furieuse que ma mère ne puisse me laisser tranquille un instant. Il faudrait peut-être un jour que je fasse le deuil. Mais c'était tellement difficile avec elle qui vous hante. Je remarquai que je n'avais plus pied. Mais peu importait, je savais nager. Et remarquablement bien, d'ailleurs. Je rejoignis la berge en quelques mouvements et m'ébrouai.
Ce n'est que quand mon pelage fut correctement lustré, à force de coups de langue, que je remarquai une fragrance connue, celle de mon clan. Mais les odeurs étaient tellement mélangées ici, que je ne pus reconnaître de quel félin il s'agissait. J'espérai seulement que ce n'était pas un chaton venu m'embêter. Quoique non, les chatons ne parlent pas souvent aux meneurs. Je restai donc ainsi, figée, attendant que l'arrivant daigne m'adresser quelques mots, ou, au moins, qu'il signale sa présence.

La belle se mouvait avec une grâce féline habituelle au beau milieu de la forêt où elle savait qu'elle restait sans cesse dans un danger potentiel. Sa force étant loin d'être légendaire, tout adversaire pourrait facilement la battre lors d'un combat mais avant de la battre encore fallait-il réussir à l'approcher. La belle misait ainsi tout sur sa souplesse, son assurance et sa vitesse. Rien que pour le prouver aux quelques animaux curieux qui osaient pointer leur museau, elle se mit à grimper en moins de deux pets de souris le long d'un tronc d'arbre. Patte sûre, esprit ouvert. Les leçons cruelles lui revenaient en mémoire. Cruelles, mais efficaces. Un sourire enjoué se peint le long de ses longues moustaches. D'un mouvement de queue, balancier aussi important que le positionnement de ses pattes, elle modifia son angle de grimpe et, un clin d'œil adressé à l'écureuil médusé, elle se laissa tomber. Chute libre, la pesanteur est bien là, le vent file entre ses poils, ses yeux d'un bleu océan teintés de délicates tâches bleues plus foncés, sont fixés sur le ciel qui s'éloigne. Jeu imprudent, qui a dit qu'elle était prudente ? Au dernier moment, elle vrilla son corps entraîné et retomba au millimètre près sur la branche qu'elle avait repéré dans la fraction de seconde précédente. Son rire encore si enfantin, véritable chant des elfes d'antan, retentit au cœur de la forêt. Jeune, sûre d'elle ... mon cher petit écureuil, ce n'est pas encore aujourd'hui que tu réussiras à la battre aux acrobaties.

D'une démarche rapide, enjouée, la jeune Astre de Minuit se dirigea vers le but qu'elle s'était donné aujourd'hui. Le lac. Lieu exaltant et relaxant, où les chauds rayons du soleil réchauffaient la douce température de l'eau. Une eau claire et pure, le calme régnait sur cet endroit magique. Seuls les clapotements des poissons qui se régalaient eux aussi de cette magnifique journée et chaleur exquise. Elle y déposa légèrement son coussinet rose sur la surface de l'eau si lisse. Puis elle plongea sa patte doucement dans le liquide bleuté clair, et la déposa sur l'un des nombreux galets qui recouvraient les bords du lac. Astre de Minuit se glissa dans l'eau tiède, une délectation. Quand une odeur parvint jusqu'à son museau.Une odeur fraîche et douce, celle de son Clan, le Clan de la Lune. Telle une déesse marine elle sortit de l'eau, son beau pelage couleur obsidienne,trempé. De fines gouttes perlaient à l'extrémité de ses poils, tels des diamants. Astre de Minuit longea le bord végétal du Lac. Elle s'approchait de l'origine de l'odeur. Un léger sourire se dessina sur les lèvres de la jeune guerrière. Cette odeur, elle l'a connaissait bien, très bien même, celle d'une jeune chatte qui avait prit le pouvoir il y a peu, une jeune chatte réservée mais puissante, celle de son Chef : Étoile Déchue. Elle aperçut enfin une silhouette féline derrière des roseaux, ils dansaient au rythme du vent chaud. Elle se faufila entre les branches dures et douces des plantes et d'une voix claire et respectueuse elle lança :


- " Bonjour Étoile Déchue, / elle s'assit / toi aussi tu viens profiter des bienfaits du Lac ?"

Puis, tourna la tête vers un mouvement qui lui avait attiré l'attention, Flamme du Lion, son Lieutenant, se tenait allongé à côté d'Étoile Déchue. Il l'a regarda d'un air glacial, peut être qu'ils auraient tous deux préférés être seuls. La belle chatte noire ressentit un bref sentiment de gêne. Elle quitta furtivement ses yeux bleutés de ceux de Flamme du Lion pour venir rencontrer ceux de son Chef.

C'est avec soulagement que je reconnus la voix de mon lieutenant. Il vint se coucher à mes côtés. Après un bref signe de tête à son égard, je m'allongeai à mon tour, posant ma tête sur mes pattes de devant dont j'entrepris le lissage du poil. Quand ce maigre travail fut accompli, je relevai brusquement la tête. Flamme du Lion était toujours là. Je le savais, bien sûr, mais il était tellement silencieux ... Je voulus entamer une discussion mais ne savais que dire. « Comment vas-tu ? ». Pff, trop banal. « Il fait beau, tu ne trouves pas ? ». D'autant plus déplacé. J'optai pour le silence. La conversation ne semblait de toute façon pas être la bienvenue tant le félin aux yeux d'or paraissait ailleurs. Calmement cette fois, je posai mes yeux sur la surface de l'eau, désormais dénuée de tout mouvement et y observai l'apaisant reflet du ciel bleu.
Des vaguelettes se promenèrent soudain sur le lac, attirant mon attention. Mes yeux de glace en cherchèrent l'origine. Astre de Minuit sortait de l'eau et avançait jusqu'à nous, glissant à travers les roseaux avec une grâce incroyable. Je fus soulagée que ce soit elle. J'appréciais cette chatte au caractère si mystérieux et enfantin. Mais qui savait quand elle devait être sérieuse et juste. J'aimais ce genre de personne, il était agréable de converser avec elle. Plus agréable qu'avec mon lieutenant qui était pourtant tout aussi respectable. Voire plus. Bref, la jolie guerrière s'approcha de nous et me salua poliment, comme tout chat se devait de le faire envers son meneur. Elle posa ses yeux bleus perçants, semblables aux miens, sur Flamme du Lion mais ne parut pas le remarquer, comme s'il était constitué d'une matière transparente ou, en tous cas, invisible à l'œil félin. Je lui rendis son bonjour, d'un signe des oreilles accompagné d'un sourire. Sourire charmeur qui aurait fait des ravages auprès des individus masculins. Astre de Minuit était l'une des rares personnes avec qui je m'entendais. Je la considérais comme une amie; même si nos relations n'étaient pas comme celles des « amis » de nos jours. Loin de là. Lorsque nous parlions, il y avait toujours un profond respect qui s'installait entre nous. Aussi bien de sa part que de la mienne. De plus, avec elle, je n'étais pas obligée de dévoiler toute ma vie privée même si elle en connaissait déjà une bonne partie. Elle était l'une des seules chattes qui connaissait mon histoire, aussi. Bref, le fait était que j'appréciais sa compagnie. Je m'enquis de répondre à sa question, tout en ayant pris le soin de choisir mes mots, comme avant chacune de mes paroles.

« J'étais sensée venir ici pour pêcher mais la beauté des lieux est exaltante ... Il faudrait cependant ramener un peu de poisson pour le camp. Tu es partante ? » demandai-je, d'une voix enjouée, pour une fois.

Je lançai un regard presque suppliant à mon lieutenant, espérant qu'il se joigne à nous pour cette partie de pêche. Mes souhaits étaient exhaussés, j'étais ici entourée de deux amis. C'était ce que j’attendais, non ? Oui, cela me ferait du bien de parler un peu.
Rapidement, je me remis sur mes pattes et, sans mot dire, me dirigeai vers les eaux calmes et pures qui étaient la fierté de ces terres. Me faufilant entre la végétation, j'espérai que les deux félins escomptaient me suivre afin que ce rare instant de bonne humeur ne s'évanouisse pas comme il était arrivé. J'entrai mon corps fin et élançai dans l'eau, devinant par les couleurs dansantes - orangés, gris et noir - et brillantes que le poisson était abondant. D'un coup de patte prudent mais bien visé, je sortis une bestiole brillante du Lac et plongeai mes griffes dans sa chair écailleuse. Il gigotait encore alors que je le ramenai sur la berge, dans un bref sourire à l'égard de mes compagnons puis retournai à la recherche d'une proie potentielle. Quelle prouesse acrobatique qu'une partie de pêche !

{ Pas de soucis :]. Flamme du Lion, tu peux répondre steuplait ? }

Alors qu'Astre de Minuit déposait l'anguille encore frétillante aux pattes de notre Chef, j'avançais d'un pas décontracté, et entrait dans l'eau sans provoquer un seul remous. Je perçu le regard étonné de la jeune guerrière mais n'y prêta guère attention. L'eau se mouvait gracieusement autour de moi et je ressentais chaque frétillement, chaque mouvement provoqué parle déplacement d'un poisson. Je sentis soudain un mouvement proche, devant moi. Je jetais un coup d'œil et aperçu une grosse truite, nageant vers moi et ne semblant pas m'avoir remarqué. Je me figeais et la laissait s'approcher. A moment où elle allait me dépasser, ma patte droite jaillit, tel un éclair, et d'un coup sec, fit voler le poisson hors de l'eau. Je le récupérai vivement et pendant qu'il se débattait entre mes mâchoires, mes crocs plantés dans sa chair, espérant encore pouvoir échapper à la mort, je sortais de l'eau, calmement, sans me presser. Je déposai la truite près de l'anguille et allait me recoucher. L'étonnement d'Astre de Minuit s'était mué en un farouche air de défi. Je perçu le sourire amusé d'Étoile Déchue et je songeais tristement qu'il ressemblait à ceux de ma mentor quand je l'avais impressionnée ou que j'avais désobéi. Des souvenirs remontèrent à la surface et me rappelèrent ces moments joyeux passés en compagnie de mon amie... Et je replongeais dans une profonde tristesse...

Mon lieutenant s'avérait être un bien doué pêcheur, ce que j'étais loin d'ignorer, contrairement à Astre de Minuit. Je souris lorsqu'il revint aussi nonchalamment que lorsqu'il était partit, une grosse truite grise à la gueule. La guerrière sembla furieuse qu'un félin soit plus doué qu'elle et, sur ce, elle s'enfuit vers notre camp. Je retournai à l'eau, invitant Flamme du Lion d'un signe de queue. J'adoptai la même technique que le matou. Elle s'avérait être très efficace ! En quelques instants seulement, nous eûmes ramené sur la berge une dizaine de poissons. Certains étaient certes bien maigres mais c'était toujours ça. En général, les lunaires adoraient les animaux écailleux. Je revins sur le bord, rejoignis la terre d'un saut gracieux et m'ébrouai. Après quelques coups de langue et mon pelage pratiquement sec, je m'enquis de croquer dans mon premier poisson. Sa couleur rougeoyante était appétissante ! Et sa chair était délicieuse. Entre deux bouchées, je dis calmement à mon lieutenant :



- Nous devrions peut-être rentrer au camp, nous devons organiser les patrouilles.


La surface de l'eau était lisse, désormais. Des hirondelles se reflétaient dans ce miroir, à la hauteur à laquelle elles étaient. Je les enviais parfois. La vie n'était-elle pas plus facile, là-haut ?